Le rat et le chat
Nouvel habitant de ce monde,
Ignorant le mal et le bien,
Ou plutôt ne sachant encor rien de rien,
Un jeune rat de sa niche profonde
Était sorti pour la première fois.
Il trouva par hasard, tout en faisant sa ronde,
Un chat perfide et fin matois,
Qui déjà, dans mainte bataille
Contre le peuple ronge-maille,
Avait fait cent exploits.
Le Raton point ne s'en défie.
Eh ! qui s'en serait défié ?
A voir sa sainte modestie,
A voir son air sanctifié
Et son maintien de chattemite,
Vous l'eussiez pris pour un dévot ermite,
Vous l'eussiez béatifié.
Ainsi pensa du moins notre jeune novice.
"Oh ! l'aimable animal ! dit-il en son jargon,
Qu'il a l'air doux ! qu'il a l'air bon !
Il faut qu'avec lui je m'unisse,
Je ne saurais trouver un plus fidèle ami."
A ces mots le jeune étourdi
S'approche du vieux chat. Mais le saint hypocrite
Aux regards doucereux, à la face bénite,
Prend un air, un maintien nouveau,
Se jette sur Raton, et n'en fait qu'un morceau.
Gardons-nous de juger des gens par l'apparence.
La malice souvent loge sous le manteau
De la paix et de l'innocence.
LABBE