La Plainte d'une momie
Aux bruits lointains ouvrant l'oreille,
Jalouse encor du ciel d'azur,
La momie, en tremblant, s'éveille
Au fond l'hypogée obscur.
Elle soulève sa poitrine
Et sent couler de son oeil mort
Des larmes noires de résine
Sur son visage fardé d'or....
Oh ! dit-elle avec sa voix lente,
Être morte et durer toujours !
Heureuse la chair pantelante
Sous l'ongle courbé des vautours !
Heureux les morts qu'un vent d'orage
Plonge au fond des gouffres salés ;
Et qui s'en vont, de plage en plage,
Reluisants, verdis et gonflés !
Heureux trois fois ceux qu'on enterre
Tous nus, dans les sables mouvants,
Et dont le corps tombe en poussière
Qui tourbillone au gré des vents !
Ils vivront ! ils verronts encore
A la nature se mêlant
Les frisssons roses de l'aurore
Sur le lit bleu du ciel brûlant !...
Hélas : hélas ! la destinée,
M'accablant d'honneurs importuns
Garde ma forme emprisonnée
Dans l'éternité des parfums !....
Ici, jamais ni vent ni pluie
N'ont rafraîchi mon front poudreux :
Depuis vingt siècles je m'ennuie
A regarder, de mon oeil creux,
Le Sphinx de pierre aux froides griffes,
Accroupi dans mon antre obscur,
Avec l'oiseau des hiéroglyphes,
Qui ne s'envole pas du mur !
Pour plonger dans ma nuit profonde,
Chaque élément frappe en ce lieu :
"Nous sommes l'air ! nous sommes l'onde !
Nous sommes la terre et le feu !
Viens avec nous ! la steppe aride
Veut son panache d'arbres verts !
Viens, sous l'azur du ciel splendide,
T'éparpiller dans l'univers !...
Viens !... la nature universelle
Cherche peut-être en ce tombeau
Pour le soleil une étincelle,
Pour la mer une goutte d'eau !"
Alors, me réveillant dans l'ombre,
Je raidis mes membres perclus ;
Sous les bandelettes sans nombre,
Mes pieds maigres ne marchent plus !
Et, dans ma tombe impérissable,
Je sens venir avec effroi
Les siècles lourds comme du sable
Qui s'ammoncelle autour de moi !
Ah ! sois maudite, race impie
Qui, de l'être arrêtant l'essor,
Garde ta laideur assoupie
Dans la vanité de la mort.
Louis BOUILHET