Le serin

Un serin que le sort avait fait prisonnier,
             Ne pouvait pas souffrir la cage.
En vain on lui disait que ce doux esclavage
             Le délivrait de l’épervier ;
             En vain pour lui plein de tendresse,
             Son maître s’occupait sans cesse
A lui faire oublier l’ennui de sa prison ;
En vain il le formait avec la serinette,
          Lui faisait faire l’échelette,
          Le régalait de maint bonbon,
          Lui traçait dans un paysage
Des arbres et des champs une fidèle image ;
Tout cela ne put rien sur l’oiseau dégoûté.
Le drôle n’en voulait qu’à la réalité ;
« Car, enfin, disait-il, en son petit langage,
             Cet appareil est bel et bon ;
Mais de quelque ornement que l’on pare ma cage,
Elle n’est après tout qu’une belle prison.
La clef des champs, voilà ma seule passion. »
Tandis qu’avec lui-même il parlait de la sorte,
Le maître vient le voir, et par un cas fortuit,
Après avoir garni sa cage d’un biscuit,
Il oublie en partant d’en refermer la porte.
             On juge bien que le reclus
          Ne rappela point son Argus,
Pour lui donner avis de son inadvertance,
Mais profitant soudain de cette circonstance ;
Sans tarder un moment, sans faire des adieux,
             Loin de son séjour odieux,
             Il s’enfuit d’une aile légère.
Le voilà donc enfin au comble de ses vœux,
             Loin des yeux d’un maître sévère,
Il comptait, l’insensé, dans un nouvel état,
             Jouir d’un destin plus prospère.
             Mais il comptait sans un vieux chat,
Qui sur un toit voisin étant en sentinelle,
             Au moment qu’il battait de l’aile,
             Vous le croque en guise d’un rat.
Défions-nous toujours de l’appât agréable
             Que nous offre la liberté.
Souvent en terminant notre captivité,
Elle rend notre sort encor plus déplorable.

LABBE