Le renard et l'âne
On conte qu’au clair de lune,
Un Renard vieux et fin matois,
Rôdait par les champs et les bois,
A dessein de chercher fortune,
Lorsqu’il trouva sur son chemin
Un défilé profond, un sentier difficile,
Coupe-gorge parfait, vrai poste d’assassin,
Vrai tombeau de gibier. Notre renard habile
Le comprit sans peine ; et d’abord
Songeant à revirer de bord :
«Holà ! S’écria-t-il, ce lieu-ci m’a la mine
De renfermer quelque piège secret.
Il me semble y voir un filet,
Ou bien un braconnier qui fonde sa cuisine
Sur le premier passant qui fera le trajet.
Mais qu’il m’attende bien ; il fera maigre chère
S’il n’a que moi pour tout butin.»
Ainsi parlait le fin compère,
Lorsqu’un Âne arrêté sur le bord du chemin
Lui tint à peu près ce langage :
«Eh quoi ! Maître Renard, vous manquez de courage,
Vous qui fûtes toujours si rempli de valeur,
Vous reculez ! Hélas ! Que devient votre honneur ?
Déjà plus d’un lièvre timide
A franchi ce sentier qui vous fait tant peur.
- J’admire, dit Bertrand, leur courage intrépide ;
Mais pour les imiter, oh ! Je n’en ferai rien.
Traverse qui voudra ce dangereux passage ;
Si les autres sont fous, Renard veut être sage.»
Après cette réponse, il partit et fit bien.
LABBE