Dandolo
Venise aux Byzantins demandait un traité.
Auprès de l'empereur part comme député
Un des plus nobles fils de Venise la belle,
Dandolo !... L'empereur ordonne qu'on l'appelle.
Il entre... Le traité l'attendait tout écrit :
"Lisez, lui dit le prince, et puis signez...". Il lit
Mais soudain, pâlissant de colère, il s'écrie :
"Ce traité flétrirait mon nom et ma patrie !
Je ne signerai pas". L'impétueux César
Se lève ! Dandolo l'écrase du regard.
Le prince veut parler de présents... il s'indigne !
De bourreaux... il sourit. De prêtres... il se signe !
Alors, tout écumant de honte et de fureur,
"Si tu ne consens pas, traître, dit l'empereur,
J'appelle ici soudain quatre esclaves fidèles,
Je te fais garroter, et là, dans tes prunelles,
Un fer rouge éteindra le jour évanoui ;
Ainsi, hâte-toi donc, et réponds enfin : oui."
Il se tait !... On apporte une lame brûlante ;
Il se tait !... On l'applique à sa paupière ardente ;
Il se tait !... De ses yeux, où le fer s'enfonçait,
Le sang coule ; il se tait !... La chair fume ; il se tait !...
Et quand ses bourreaux l'oeuvre fut achevée,
Tranquille et ferme il dit : "La patrie est sauvée !"
Eh bien ! ce coeur d'airain, inflexible aux douleurs,
Ces yeux qui torturés n'ont que du sang pour pleurs,
Cet immobile front où pas un pli ne bouge,
Qui ne sourcille pas sous le feu du fer rouge,
Ces yeux, ce front, ce coeur avait quatre-vingts ans.
E. LEGOUVE
Venise était jadis ville indépendante et constituée en République. César : nom donné à tout empereur de la vieille Rome, après Jules César.