Notre beau pays
Je regardai passer les choses
D'un oeil lourd. - L'aube vint. - Je fus
Surpris par des métamorphoses :
Les arbres couraient plus touffus...
Un vallon s'ouvrait, d'une grâce
Inconnue à mes yeux encor.
L'herbe eut une fraîcheur plus grasse.
La moisson élargit en or.
Des ifs nouèrent une ronde
Autour d'un rapide château.
Un fronton fut, une seconde,
Le diadème d'un coteau !
Eh quoi ! les cercles, les hachures
Que cherchaient, sur l'atlas, nos doigts,
Sont au loin, ces collines pures,
Ces doux rassemblements de toits ?
Cette eau qui fuit, revient, s'écarte,
Prompte ou pleine de nonchaloir,
C'est ce qui n'était, sur la carte
Qu'un nom, écrit sous un fil noir ?
Je frémis. Terre magnifique,
Tu vas, te creusant, t'élevant !
La figure géographique
Devient un visage vivant !
Belles contrée aux lignes molles,
Je m'enfonce dans ta douceur
En traversant les auréoles
Que tu portes autour du coeur.
Et je disais : "La France passe !"
Et des ongles je commençais
A battre un peu sur cette glace
La charge du tambour français !
Ainsi, pour que, sans le connaître,
Je ne risque pas de mourir,
Le sort faisait cette fenêtre
Sur tout mon beau pays courir.
Et soudain, quand sur une plaine
Un soleil large étincela,
Je criai : "Cela vaut la peine
De mourir pour ce pays-là !"
Edmond ROSTAND - Un landais traverse toute la France pour se rendre au front