L'Empereur
Empereur quand j'étais petit, petit,
plus petit que je ne suis petit,
me paraissait, sans contredit,
la profession la plus belle de toutes -
ou bien conducteur de métro,
ma foi, je ne sais plus trop. -
Mais maintenant ça me dégoûte.
Empereur, c'était un beau monsieur
avec sa redingote grise
et des dames bien mises
et des soldats mis encore mieux,
ou bien un brave vieil empereur
qui vous fait boire du champagne
quand on est au tableau d'honneur,
le jour de la Saint-CharlemangneSaint-Charlemangne.
Maintenant, ce n'est plus ça :
ça vous a moustache de chat,
face blême,
mine de carême.
Ça fait couler les grands bateaux,
ça brûle des cathédrales.
ça fait partout des choses sales,
ce ne sont que de vrais brutaux :
ça vole tout dans les châteaux :
les pianos et les casseroles.
les pendules, les tableaux,
les billards, et les consoles.
je ne veux plus, ma parole d'honneur,
être empereur !
Celui qui l'est, lui-même, a honte.
Je l'ai vu dans l'Illustration,
lors de la mobilisation :
moustache noire qui monte
au ciel, air fier.
Eh bien ! avant hier,
j'ai revu l'Empereur. Ah ! misère !
Il est tout cassé, cheveux blancs,
il paraît quatre-vingt-quinze ans ;
il n'a pas cette mine altière,
et puis, il est
comme Guignol qui se fait appeler Gringalet,
il a honte du nom de Guillaume,
ce gnôme,
bref,
il se fait appeler François-Joseph !
Charles ALPHAND