Jean sans Terre aborde au dernier port
Jean sans Terre sur un bateau sans quille
Ayant battu les mers sans horizons
Débarque un jour sans aube au port sans ville
Et frappe à quelque porte sans maison
Il connaît bien cette femme sans figure
Se décoiffant dans un miroir sans tain
Ce lit sans draps ces baisers sans murmure
Et ce facile amour sans lendemain
Il reconnaît ces trirèmes sans rames
Ces bricks sans mâts ces steamers sans vapeur
Ces rues sans bars ces fenêtres sans femmes
Ces nuits sans sommeil et ces docks sans peur
Mais il passe inconnu devant ses frères
Il ne voit point ses jeunes soeurs pâlir
L'herbe ne tremble pas dans le pré de son père
Quelle est cette idée sans souvenir ?
Dans le jardin sans arbre aucune grille
Ne l'empêche de cueillir le jet d'eau
Qu'il va offrir à cette triste fille
Qui se pendit pour l'avoir aimé trop
Quel est ce boulevard sans dieux à vendre ?
Ce crépuscule sans accouplements ?
Ce réverbère étouffé par ses cendres ?
Cette horloge laissant pourrir le temps ?
Alors pourquoi ces jonques ces tartanes
Chargées de fûts sans vins de Christs sans croix
Des sacs sans riz de danses sans gitanes
De citrons sans vertu d'aciers sans poids ?
Pourquoi ces quais sont-ils sans un navire ?
Ces bois sans étincelle ces stocks
Sans douane et ces bars sans délire ?
Seule la mer travaille dans les docks !
Quel est ce port où nul bateau n'aborde ?
Quel est ce sombre cap sans continent ?
Quel est ce phare sans miséricorde ?
Quel est ce passager sans châtiments ?
Yvan GOLL - 1891/1950