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Des poèmes et des chats
18 février 2009

Chien de Guerre

Bien qu'on l'eût baptisé : Loulou - d'un nom commode,
Le pauvre n'avait rien des griffons à la mode.
Saint-Simon eût, de lui, dit qu'il n'était pas "né".
Il tenait à la fois du cocker par le nez,
Du terrier par la robe et du bull par la patte.
Mais il avait, ce chien cocasse et disparate,
Un regard presque humain, si bon, si caressant
Que, lorsqu'il vous fixait, son oeil phosphorescent
S'emplissait d'on ne sait quelle lumière immense...

Nous l'avions découvert dans un champ - près d'Amance.
Il errait éperdu, hagard. - Une maison
Et des granges flambaient au lointain horizon
Et  nous avions pensé que "les autres" peut-être
Avaient brûlé sa ferme et fusillé son maître.
D'ailleurs, à la tranchée, il fut bien accueilli ;
Quand on l'eut vu frotter, d'abord, en chien poli,
Avant de pénétrer dans notre taupinière,
Ses pattes sur un paillasson imaginaire,
On en augura bien.

Il devait faire mieux.
Car ce roquet - servi par un flair merveilleux
Et qu'il devait tenir de ses lointains ancêtres
Qui chassaient les grands ours dans les forêts de hêtres -
Devint un chien de guerre admirable. Souvent
Le soir, il s'en allait, grave, le nez au vent,
Vers l'ennemi "pour une enquête personnelle"
Et lorsqu'à son retour, de sa large prunelle
Il regardait les chefs avec un air d'ennui,
Nous nous tenions, tous, prêts à l'alerte.

Une nuit,
Qu'il grognait sourdement tout en grattant la terre,
Comme s'il eût flairé soudain quelque mystère
Là-bas, chez les Teutons, notre sous-lieutenant
Lui demanda : "Loulou ! que sens-tu ?... L'Allemand ?"
Alors, sans aboyer, sachant que le prudence
Veut qu'en des cas pareils on garde le silence,
Il releva son nez dans le sol enfoui
Et d'un clignement d'yeux sembla répondre : Oui !
Aussitôt l'officier nous fit prendre les armes :
"Ce cabot, pour le flair, dit-il, vaut deux gendarmes...
"Le Bavarois pour nous prépare un entremets.
"Qu'il compte nous servir à l'improviste. - Mais...
"(Toi - Loulou - va devant, la chose te regarde,)
"A nous de le surprendre avant qu'il soit en garde.
"Baïonnette au canon ! - Dans cette obscurité
"Ne tirez pas ! - Rien que l'aiguille à tricoter ;
"C'est l'arme du Français, et l'on sait que le Boche
"Aime peu le baiser pointu du tourne-broche.
"En avant !"

Or, le chien ne s'était pas trompé.
A cent pas devant nous, nous pûmes voir ramper,
Profitant du fossé qui borde la grand'route,
Les Bavarois. Leur chef, dont l'oreille à l'écoute
Avait perçu du bruit, allait crier : Wer da !
Il n'en eut pas le temps, les deux mains d'un soldat,
Cependant qu'il râlait comme un soufflet de forge,
Lui rentrèrent bientôt son Wer da ! dans la gorge.
Et puis l'on se rua... baïonnette en avant...
Ce fut beau !...

Pour briser notre assaut triomphant,
Leur mitrailleuse en vain cracha sa bave immonde.
Il faisait noir... son feu nous tua peu de monde...
Nous, l'on faisait merveille, on se sentait en train !...
La moitié de ces gueux resta sur le terrain,
L'autre s'enfuit...

Hélàs, au cours de la poursuite
L'infortuné Loulou, qui talonnait leur fuite,
Avise un gros major, large, replet, dodu.
(Pourquoi dans ses mollets n'aurait-il pas mordu ?
Les chiens n''admettent pas qu'on aille de la sorte
Et toujours on les voit surgir de quelque porte
Quand passe un étranger qui court un peu trop fort.)
Donc le brave Loulou, gentiment, sans effort,
Avait planté ses crocs dans les mollets du reître ;
Même, il avait dû mordre un peu plus haut peut-être,
Car l'énorme Teuton, prenant son pistolet,
L'abattit à ses pieds...

Ainsi qu'il le fallait,
Un sergent, tout d'abord, vengea d'un coup de crosse
La bête, en assommant le Bavarois féroce
D'un tel coup qu'il brisa son arme en l'assénant !
Et puis l'on regagna la tranchée, emmenant
Le corps encor tout chaud de la vaillante bête.
De part en part la balle avait troué la tête
Et dans ses yeux profonds, dans ses yeux que j'aimais
Le beau regard s'était éteint à jamais !

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