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Des poèmes et des chats
11 avril 2007

le chat et le caméléon

Nourri comme un enfant par sa mère idolâtre
Un jeune chat, bien blanc, bien onglé, bien folâtre,
Bien chat ! bien héritier de sa chatte maison,
Égratignant toujours, avait toujours raison.
Hôte souple et rampant des royales demeures,
A se délicater passant d'oisives heures,
Il n'en mettait pas une au profit du devoir ;
Point d'étude au matin, point de prière au soir ;
Tout coulait en sommeil, en festins, en gambades ;
Venait-il un voleur, il faisait le malade ;
Son miaulement plaintif lui valait un  baiser :
A ces tigres charmants que peut-on refuser ?

Un jour de la saison molle et verte et fleurie,
Voulant ronger l'hysope autour de la prairie,
Le fainéant bondit, s'excite à prendre l'air,
Car le sable, au jardin, brilles sous un ciel clair,
Et l'hiver tire au large, et le moelleux Joconde,
Qui dérive sa queue et sa danse et sa ronde,
Voit un caméléon se chauffant au soleil,
Dans les plis d'un vieux saule à son manteau pareil.

"Eh ! vous voilà, miroir vivant du parasite !
Dont l'esprit flotte encore où j'ai fixé mon gîte ;
Diaphane symbole ! âme errante des cours ;
Avec des paysans, quoi vous passez vos jours !
C'est un meurtre. Chez nous ne vais vous faire inscrire ;
La fortune m'y gâte et vous doit un sourire :
Prenez mon bras, ce pré nourrit mal vos talents ;
Je vous trouve un peu maigre ; à nos mets succulents,
Venez vous arrondir. - Ah ! dit le Sycophante,
Ma voix, plus que la tienne y passa triomphante.
Où l'on flatte, où l'on dîne, où l'or coule en ruisseaux,
On l'y nourrit longtemps de délicats morceaux !
Comme toi, courtisan à l'épaule penchée,
Touchant au fond des coeurs une corde cachée,
Vices de cour étaient poétisés par moi ;
Les princes m'embrassaient : j'ai fait sourire le roi !
Magnétisant l'oreille à mes douces paroles,
Spéculant avec art sur les passions folles,
Je visais droit et juste en chatouillant l'orgueil.
Tu ris, mon camarade ! ah ! tu connais l'écueil :
Evite-le. Jaloux de mes brillantes ruses,
Un soir, sans écouter mes sonores excuses,
Le sort trancha le fil argenté de mes jours !
Âme vide et bornée à garder ma nature,
Me voilà dans la poudre, abjecte créature,
Traînant avec ennui mes heures sans éclat,
Réduit à refléter un gazon sec et plat !
Moi ! l'habitant doré de vos salons antiques,
Ramper honteusement dans les scènes rustiques,
Et ne pouvant louer du geste et de la voix,
M'efforcer, n'étant rien, d'être ce que je vois ;
Me teindre des couleurs du peu qui me regarde !
Et je l'imite en vain : ce peu n'y prends pas garde :
Car, le faiseur de tout (qui peut dire pourquoi !)
Irrité des honneurs que j'attirais sur moi,
Peu touché de l'esprit, ne regarde qu'à l'âme,
Et si le feu n'est pur, souffle à froid sur la flamme.
Ah ! si j'avais du sang dans les veines, souvent,
J'en ferais des pamphlets, mais je n'ai que du vent.

Heureux chat ! que ton sort diffère de ma vie !
Tandis que seul, piqué de faim, de soif, d'envie,
Rêve, j'avale un rêve ; ingrat muet, tu bois !
Tu manges sans payer à la table des rois !
Et l'air le plus ténu forme ma nourriture ;
Fruit creux et décevant que l'avare nature
Tira de mes discours que l'on trouvait si beaux :
Ami ! que d'éloquence est tombée en lambeaux !

Mais le souffle me manque à lancer ma colère,
Va-t-en : ton embonpoint commence à me déplaire.
Tiède et vivant coussin de quelque pied royal,
Echappé des genoux du sanglant cardinal,
Va-t-en ! ta pitié sainte et ta joie effrontée
Soulèvent de nouveau ma bile révoltée ;
Tout visage qui rit n'est qu'un masque moqueur,
Et je sens bien du fiel couleur où fut mon coeur !"

Le chat dont les yeux d'or flamboyaient sur la robe
Du reptile irrité, s'écarte et se dérobe.
"Il m'empoisonnerait, dit-il avec effroi,
Et je vais me blottir dans les genoux du roi !"

Mme DESBORDES VALMORE (février 1893)

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