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Des poèmes et des chats
14 octobre 2013

La pomme et la poire

Un Américain, fort savant
Et célèbre dorénavant,
Vient de faire, à ce qu'on raconte,
Parmi les plus, assurément,
Déconcertantes du moment,
Cet érudit et subtil homme
Déclare, avec conviction,
Que ce ne fut pas une pomme
Qu'au temps de la création
Adam et Eve partagèrent.
Il hésite, à ce qu'on nous dit,
N'affirmant rien à la légère,
Entre trois produits inédits :
La banane, onctueuse et fraîche ;
La figue, égale à la pèche,
Et le citron acidulé. 
Or, vous pouvez, parbleu, m'en croire,
Ce travail est très incomplet,
D'après mes fouilles dans l'Histoire,
Voici - messieurs, écoutez ça ! -
Comment la chose se passa :

Etant, sur la machine ronde,
L'unique - ou presque- individu,
Eve semblait, bien entendu,
La plus belle femme du monde.
De la pêche elle avait le teint
Rose et doux comme du satin ;
Ses cheveux, baisant ces épaules,
Lui tombaient plus bas que les mains ;
Elle avait un nez de gamin,
Petit, impertinent et drôle,
Des cils aussi longs que le doigt
Et des yeux fendus en amandes,
Enfin une bouche gourmande
Ainsi qu'une fraise des bois.
Quant à son esprit, qu'en dirai-je ?
Maligne... comme de ses soeurs
C'est depuis lors le privilège,
Elle semblait toute douceur,
Mais, par contre, dès cette date,
Curieuse autant qu'une chatte.

Or, un jour que, dans son jardin,
Elle allait rêveuse, soudain
Le désir la prit de connaître
Quels étaient les différents fruits
Qui, dans ce jardin, pouvaient naître.
Elle compta donc maints produits :
Abricots, groseilles, framboises,
Aimés des cuisines bourgeoises,
Mandarines, noisettes, noix
Et, surtout dignes de son choix,
Oranges, prunes et grenades.
Lors, poursuivant sa promenade,
Eve songeait combien étaient
Rares en somme, sur la terre,
Les dons du ciel qui méritaient, 
L'hommage d'un tel inventaire.
Lorsque, tout à coup, le serpent
Apparut sur la même route.
Ainsi, que personne n'en doute,
C'était un affreux sacripant
Toujours mis avec élégance,
Bien pommadé, bel orateur, 
Mais semblant, par ces airs menteurs,
Préparer quelque manigance.
- Bonjour, madame, lui dit-il,
Vous paraissez toute morose ;
Pourtant, sans crainte de péril,
Vous regardez la vie en rose...
Qui vous trouble donc aujourd'hui ?
- Voici, monsieur, répondit Eve,
Je viens d'admirer divers fruits
Magnifiques et pleins de sève,
Mais, les ayant ainsi comptés, 
Je m'aperçois qu'en vérité
Leur nombre est plutôt assez maigre. 
J'ai beau travailler comme un nègre,
Je sais ce que chacun d'eux vaut
Mais n'en puis trouver de nouveaux !
- Qu'en rien cela ne vous chagrine :
J'en ai d'autres en magasin,
Reprit l'autre avec une mine
Moitié figue et moitié raisin.
Connaissez-vous ce qu'est la guigne ?
C'est un produit très embêtant
Qui, hors de tout propos, vous guigne
Et vous échoit par tous les temps.
Connaissez-vous ces fruits notoires :
Les dattes ? Ça sert à l'histoire,
Et le coing ? coin-coin des canards,
Et les marrons que distribue
Votre époux, quand il est pochard ?

Alors Eve, très ingénue :
- Monsieur, vous êtes un trésor,
Mais n'en avez-vous pas encor ?
Sitôt le serpent, galant homme,
Tire de sa poche une pomme
Et, la faisant luire au soleil :
- Regardez ce fruit admirable !
Admirez-en l'aspect vermeil
Et les formes incomparables !
Et bien, madame, mordez-y,
Je vous la donne ! Mais voici !
Prenez ce conseil pour un ordre :
Ayez soin, surtout, de n'y mordre
Qu'en présence de notre époux
Et de conserver tout pour vous !
- Pourquoi lui faire cette peine ?
- Parce qu'alors dit le serpent,
Vous devrez, par un phénomène
Déconcertant et syncopant,
Oui, vous devrez, vous dis-je, certes,
Au lieu d'un seul fruit, en voir deux. 
Bien que jugeant très hasardeux
L'essai de cette découverte,
En souriant elle promit
De croire son nouvel ami.
Il la salua d'un air tendre
Et se défila, cependant
Qu'Eve courait, sans plus attendre,
Vers son mari, monsieur Adam.
Assurément, nul ne l'ignore,
Ce bon Adam, ayant encore
De splendides propriétés,
Était alors des mieux cotés.
Ce bourgeois grave, noble et digne,
Ennemi des plaisirs malsains,
Pêchait justement à la ligne,
Ce jour-là, devant son bassin.
En entendant venir sa femme,
Il se retourna. Celle-ci,
Majestueuse et fière ainsi
Qu'une héroïne dans un drame,
Devant lui se campe aussitôt,
Tire, des plis de son manteau,
La pomme, don énigmatique,
Et dans ce fruit elle pratique
Des morsures à pleines dents.
- Vraiment, de ta part, dit Adam,
Ce n'est pas aimable, ma chère
Sous mon nez. J'en suis suffoqué
Et te punirais, je te jure, 
De cet aplomb et cette injure
Si tu n'étais belle à croquer !
- Je comprends enfin l'équivoque, 
Fit Eve, et le serpent dit vrai :
Je suis la Pomme que l'on croque,
Et toi, la Poire qu'on cherchait !

Roger REGIS

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Commentaires
F
Tous deux on les garde pour la soif!! Bisous de Joelle.
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