Le coucher de la poupée
Il faut dormir, mademoiselle !
Voyons ! de quoi vous plaignez-vous ?
N'êtes-vous pas heureuse et belle ?
Êtes-vous mal sur mes genoux ?
Hélas ! à l'heure où je vous berce,
Plus d'un pauvre enfant souffreteux
De grêle reçoit une averse
Et rentre chez lui tout piteux.
Eh quoi ! vous faites la méchante,
Et vous ne voulez pas dormir ?
Fermez les yeux, puisque je chante,
Ou les gendarmes vont venir !
Savez-vous bien, vilaine fille,
Qu'à cette heure où le jour pâlit,
Il est des enfants en guenille
Qui pour dormir n'ont pas de lit !
Pourquoi crier à perdre haleine ?
Avez-vous froid près du foyer ?
N'avez-vous pas des bas de laine ?
Qu'avez-vous besoin de crier ?
A cette heure où je vous protège,
Plus d'un pauvre orphelin, je crois,
Grelotte pieds nus dans la neige,
Et pleure au travers de ses doigts !
Voyons, ne criez plus, pouponne,
Vous ne devez pas avoir faim ;
Vous savez bien que je vous donne
De mes bonbons et de mon pain.
Songez qu'à cette heure, ma fille,
Où vos cris viennent m'occuper,
Il est plus d'une humble famille
Qui se couchera sans souper.
- Allons, faites votre prière,
Fillette, il faut vous reposer :
C'est bien ! fermez votre paupière,
Puisque je m'en vais la baiser.
Rappelez-vous, douleur amère,
Lorsque vous pleurerez trop fort,
Que sans un baiser de sa mère
Plus d'un petit enfant s'endort !
François BARRILLOT