Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Des poèmes et des chats
27 février 2012

Alpujarra

Brisés par les revers d’une longue campagne,
Découragé, perdus, les Sarrasins d’Espagne
Sous le fer castillant pliaient de toutes parts.
Grenade seule, au cœur d’imprenables murailles,
Résistait ; mais la peste, au fond de ses entrailles,
Brûlait déjà la ville et minait les remparts.

Durant ces jours affreux de crise et d’agonie,
Des guerriers musulmans l’élite réunie
Garde, sous Almanzor, le fort d’Alpujarra.
Le camp des Espagnols fume au pied de la ville :
Demain, sitôt que l’aube aura blanchi Séville,
Les feux commenceront et l’assaut s’ouvrira.

L’aube a lui ! l’aube a lui !... soudain le canon gronde
Et de sa bouche en feu jaillissent à la ronde
Mille éclairs dont la foudre erre de rang en rang.
Sous les boulets chrétiens bientôt le fort chancelle,
Bientôt sur le vieux mur où la croix étincelle,
L’Evangile vainqueur détruira le Coran.

Seul, après avoir vu succomber tous ses braves,
Pour échapper lui-même à d’indignes entraves,
Almanzor a fini par s’ouvrir un chemin ;
En vain les plus ardents volent à sa poursuite,
Il déguise si bien les traces de sa fuite,
Que pas un d’eux sur lui n’a pu mettre la main.

Cependant, au milieu des ruines sanglantes,
Parmi les tas de morts et de cendres brûlantes,
La victoire a dressé les apprêts d’un festin.
Alors ont commencé d’imprudentes orgies,
Alors, de vin, de sang les mains toutes rougies,
Chacun, au choix du sort, prend sa part de butin.

Mais voilà qu’au moment où, fougueuse, irritable,
L’ivresse s’emportait criait à chaque table,
La sentinelle accourt, annonce un étranger…
Il est là, demandant audience, à la porte,
Et l’intérêt, dit-on, des secrets qu’il apporte
Doit faire à l’instant même entrer ce messager.

Eh quoi ! c’est Almanzor, c’est l’ami du Prophète !
Oui, lui-même qui vient, après une défaite,
Aux mains des Espagnols livrer sa liberté ;
Il croit à leur honneur, se fie à leur clémence.
Pour prix de sa capture et d’un service immense,
Il ne veut que la vie et l’hospitalité.

« En voyant, leur dit-il, tous ces remparts en cendre,
Dans l’abîme avec moi le khalifat descendre,
J’ai dit à Mohammed un éternel adieu ;
Déserteur du Coran, c’est à votre Evangile
Que je viens demander un culte moins fragile,
L’appui d’une autre foi, la foi d’un autre Dieu !

« Pour donner plus d’éclat à cette apostasie,
Vous pouvez en Espagne, en Afrique, en Asie,
Publier qu’Almanzor, un prince, un musulman,
Embrasse ses vainqueurs, les bénit, leur pardonne,
A la merci du Christ sans crainte s’abandonne,
Et qu’au pied de la croix il prie en ce moment. »

Témoin depuis longtemps de sa valeur brillante,
Les Espagnols, émus à sa voix suppliante,
L’accueillent en délire. Aussitôt sur son cœur
Le prince castillan le serre avec ivresse ;
Pour le voir, lui parler, on l’entoure, on se presse,
Ce n’est plus un vaincu, c’est l’ami du vainqueur.

Lui, leur pressant à tous les mains, les remercie,
Pleure d’émotion, s’incline, balbutie…
Puis soudain, secouant tout cet humble embarras,
Au général chrétien qu’étonnent ces caresses,
Il s’enlace, il se pend, l’étouffe de tendresses,
Le baiser sur la lèvre et l’étreint dans ses bras.

Tout à coup laissant là ces fureurs expansives,
Le Sarrasin pâlit : des douleurs convulsives
Le tordent : Almanzor tombe… mais en tombant,
Comme pour mieux encor s’enchaîner à sa proie,
Aux pieds de l’Espagnol, en guise de courroie,
Il attache un des bouts de son riche turban.

Autour du malheureux qui suffoque et palpite,
D’instinct et de pitié, chacun se précipite…
Lui les repousse au loin de ses affreux regards,
Un rire de démon tord sa bouche écumante,
La sueur perce à flots sa tunique flottante
Et des larmes de sang gonflent ses yeux hagards.

« Voyez comme je souffre et comme je suis blême !
Regardez, leur dit-il, c’est pour vous un problème,
N’est-ce pas ? Devinez ce qui me tue ici,
Giaours ! J’ai trompé vos regards à la porte,
La peste est à Grenade ! Eh bien ! je vous l’apporte.
Car j’en viens, et je meurs… mais vous mourrez aussi.

« Lorsque je vous brûlais sous ces baisers avides,
Vous ne sentiez donc pas mes lèvres homicides
Distiller le poison qui va vous dévorer ?
Ah ! pour moi, je le sais, ma souffrance est finie ;
Mais la vôtre commence, et de mon agonie
Apprenez quels tourments vous allez endurer ! »

A ces mots, sous l’effort d’une dernière crise,
Une invisible main le torture et le brise ;
Il s’agite, il se traîne : il voudrait, en mourant,
Serrer tous les vaincus d’une étreinte éternelle.
Et les bravant encor de sa noire prunelle,
Leur jette pour adieu un râle déchirant.

Les chrétiens interdits cherchèrent dans la fuite
Un remède au fléau. Mais, courant à leur suite,
Ils succombèrent tous… sans même que l’armée,
Par le mal africain jour et nuit décimée,
Pût traîner ses débris hors de l’Alpujarra.

A.-R. LOIZON

alpujarras1

Publicité
Publicité
Commentaires
K
Un poème qui traduit bien, l'atmosphère des croisades<br /> <br /> bien amicalement gros bisous et bonne journée
Répondre
F
Superbes, ces collines. Bonne journée et gros bisous, :)
Répondre
Des poèmes et des chats
Publicité
Archives
Des poèmes et des chats
Newsletter
Derniers commentaires
Visiteurs
Depuis la création 982 718
Publicité