Le moulin
Là-bas, sur le coteau qui domine la plaine,
Il tourne ses grands bras au souffle de l’haleine,
Soir et matin ;
Vieux et poudré de blanc, la brise le caresse,
Et porte son tic tac, qu’il fredonne sans cesse,
Dans le lointain ;
Toujours, par tous les temps, le vieux moulin travaille
Car il faut, sous le vent, tourner vaille que vaille,
Soir et matin.
Les oiseaux, ses amis, se perchent sur son faîte,
Chantent joyeusement, gazouillent, sont en fête
Soir et matin ;
Quand un océan d’or couvre la terre grise,
Il entend les épis murmurer sous la brise
Dans le lointain.
Par des gestes géants, il appelle, il invite,
Il dévore le grain ou lentement ou vite,
Soir et matin.
En hiver, en été, le vieux moulin protège
Dans ses flancs gémissants de blancs flocons de neige,
Soir et matin ;
Mais lorsque l’ouragan rugit, éventre, brise,
La neige se répand, la plaine en devient grise
Dans le lointain ;
Mais il reste debout sur la verte colline,
Son aile, comme avant se soulève et s’incline
Soir et matin.
Quand il s’arrêtera, ce géant solitaire,
Tout restera muet aux alentours, sur terre,
Soir et matin ;
Les oiseaux s’enfuiront ; ils quitteront la plaine,
Entraînant avec eux la caressante haleine
Dans le lointain ;
La douce et tendre fleur, qui croissait à son ombre,
Vers le sol penchera, sa tête frêle et sombre
Soir et matin.
Chacun doit le bénir, le fils avec l’ancêtre,
Le serf avec le roi, l’esclave avec le maître,
Soir et matin.
Quand un jour vous verrez sa base chancelante,
Et son aile moussue, immobile, tremblante
Dans le lointain,
Sachez qu’il voudra dire à chacun, qu’à tout âge
Nous devons travailler sans trêve avec courage
Soir et matin.
Alphonse MILLET