L'Obscurité
L'Obscurité, dans les chambres, le soir, est une
Irréconciliable apporteuse de craintes ;
En deuil, s'habillant d'ombre et de linges de lune,
Elle inquiète ; elle a de félines étreintes
Comme une eaux des canaux traîtres où l'on se noie.
L'Obscurité, c'est la tueuse de Joie
Qui dépérit, bouquet de roses transitoires,
Quand elle y verse un peu de ses fioles noirs,
L'Obscurité s'installe avec le crépuscule ;
Elle descend dans l'âme aussi qui s'enténèbre ;
Sur le miroir heureux tombe un crêpe funèbre ;
La clarté, dirait-on, est blessée et recule
Vers la fenêtre où s'offre un linceul de dentelle.
L'Ombre est un poison noir, d'une douceur mortelle !
Et voici qu'on frémit d'on ne sait quoi... c'est l'heure
Où le vol libéré des âmes nous effleure ;
Ah ! quel trouble ! Et les peurs, les peurs dominatrices
Dans les rideaux des lits agitant les fantômes !
Et ces sachets de linge aux sensuels arômes !
Et les lampes, là-bas, rouvrant leurs cicatrices,
Qui vont recommencer à faire saigner l'Ombre !
Mais l'Ombre se défend contre les lampes frêles,
Épaississant dans les angles sa force sombre.
- On écoute les moucherons griller leurs ailes,
Et l'on soupçonne, à voir mourir les bestioles,
Que c'est l'Obscurité qui se venge ainsi d'elles,
Pour avoir aimé mieux que ses noire fioles
Le Soleil qui revit dans les lampes fidèles.
Georges RODENBACH