L'âne et le corbeau
Pas à pas, sur la route, un âne s’en allait,
Devisant à part lui : «Je suis stupide et laid,
J’en conviens, et chacun me traite de bourrique ;
Le meunier, sur mon dos, casse souvent sa trique
En m’appelant têtu ; je sais qu’il a raison.
Peinant toujours, je n’ai point de bonne saison.
Je mange des chardons, du foin et de la paille ;
On me bat, on me hue, on m’insulte, on me raille,
Et partout où je vais, je dois porter ma croix.
Je serais malheureux si je n’avais ma voix.
Pourquoi donc en voudrais-je à la bonne nature,
Qui n’en fait pas autant pour chaque créature ?
Que m’importe que l’homme, insensible et méchant,
M’assomme ? J’ai sur lui l’avantage du chant. »
Et, pour en témoigner, l’âne se mit à braire.
Un corbeau qui passait lui dit : «Veux-tu te taire,
Tu chantes faux. – Faux, moi ! – Sans doute ; ta chanson
Est affreuse, et je puis te faire la leçon
Savamment, il me semble ; est-ce qu’à mon ramage
L’univers tout entier ne doit pas rendre hommage ?»
Que d’ânes, de corbeaux, bouffis de vanité,
Étalent, dans le monde, ainsi leur nullité !
Jean REMY