Le paysan et son âne
Guillot, certain jour de marché,
Pour gagner, quelques sous, lentement, vers la ville
S'acheminait sur son âne juché.
La route n'était pas facile,
Et maître grison, ce jour-là,
Portait le double au moins de sa charge ordinaire.
Guillot, en le flattant, croit charmer la misère :
"Avance, mon ami ; ferme ! nous y voilà !"
De la ville si désirée
Ils étaient loin encore : on arrive pourtant.
Herbes, choux et navets, tout est vendu comptant.
"Ma bête, dit Guillot, n'est pas mal assurée,
Je la croyais moins forte ; c'est au mieux."
Guillot d'un peu de son récompense sa peine,
S'en retourne et déjà pense à l'autre semaine
L'intérêt le rend soucieux.
Nouveaux apprêts, nouveaux voyages.
Trop complaisant baudet, on sait votre courage,
On en abuse... Encore ceci...
Ce sac est-il trop lourd ?... Nenni.
De marché en marché, toujours plus gros bagage.
"Mon âne est impayable, on n'est pas mieux servi."
L'animal plie, le bâton le relève.
Ce serviteur si cher, mais mal nourri,
Est tant et tant chargé que sous le faix il crève.
On devine aisément qui je désigne ici.
J.F. GUICHARD