Espoir
Voici devant mes yeux la table coutumière ;
Les livres, la sébile(1) où le sable d'or luit,
Et l'encrier, citerne obscure dont la nuit
Se répand sous les doigts du poète en lumière.
Je rêve , ce repos m'est dû. Le feu mourant
Me jette un humble et tendre adieu d'ami fidèle.
J'écoute, bruit charmeur qui plaît au songe errant,
La lampe gazouiller dans son nid transparent ;
Et, relisant les vers achevés auprès d'elle,
Je me dis qu'il est doux d'être à, d'être assis
A ma table, au milieu de mes livres ; je pense
Que le jour écoulé fut libre de soucis ;
Et que mon cher et grand labeur, feuillets noircis,
En lui-même a trouvé ce soir sa récompense.
Demain, j'en ai la foi, sera beau. Mon esprit
Voit, dans la vaste plaine où l'avenir mûrit,
Les heures, groupe ardent et fier de jeunes filles,
Pour la moisson prochaine aiguiser leurs faucilles.
Mon destin se démasque et m'apparaît meilleur,
Et ma force m'enivre, et, comme un laboureur
Auquel l'été promet des chars de gerbes grasses,
Mon âme, mesurant ces biens vous en rend grâces
Et recommence enfin à vous aimer, Seigneur.
(1) - Petit récipient en bois dans lequel est placé du sable fin utilisé pour sécher l'encre.
Charles GUERIN - Le semeur de cendres