Les hommes tatoués

Les hommes tatoués dont les larges poitrines
S'ornaient d'oiseaux et de serpents,
Les hommes tatoués dans l'auberge marine
Choquaient leurs verres en chantant.

Le jour qui se mourait éclaboussait la rade
Et les quais d'un sang généreux ;
On entendait au loin un bruit de canonnade,
Les phares allumaient leurs feux.

Les hommes tatoués hurlaient dans la fumée
Amère et lourde de tabac ;
Ils dénombraient les mers qu'ils avaient écumées
Quand ils montaient les grands trois-mâts.

Ils disaient les galions chargés d'or et d'épices,
Les brûlots, les grappins de fer
Et leurs bras velus de longues cicatrices
Barraient les tatouages verts.

Ils évoquaient la croix du Sud, les mers australes,
Les neiges du pays lapon,
Les compagnons "péris" promis aux dents des squales,
Les baleiniers et leurs harpons.

Ils disaient les caps et les îles, ces corolles
S'épanouissant sur les flots
Et les glauque sirène aux étranges paroles
Troublant le coeur des matelots.

Et dans la salle l'Aventure aux vastes ailes
Baisait le front de ses enfants
Et le vent des départs brisait les vitres frêles
De son souffle rauque et puissant.

Mais des filles à la chair veule, à l'âme absente,
Emplissant sans cesse des brocs,
Seins débordants et nus, mettaient leurs corps en vente
Pour une pile de douros.

Leon VERANE