Le réveil du hameau
Dans le vieux cimetière endormi sous les cieux,
L'herbe est lourde des pleurs que d'invisibles yeux,
Du haut du firmament, versent dans les ténèbres.
C'est l'heure où, fatigués de leurs appels funèbres,
Dans les murs ruinés, croulants et pleins de trous,
Par terreur du soleil, se cachent les hiboux ;
L'heure où la nuit s'enfuit, emportant dans ses voiles,
Au fond du ciel pâli, les mourantes étoiles ;
L'air est déjà moins noir, mais ce n'est pas le jour...
Dans l'ombre transparente on devine la tour
Du clocher qui, des morts surveillant la demeure,
Hurle aux vivants les glas et leur compte chaque heure,
Cri du temps qui vieillit aux seuls vivants jeté,
Car l'heure, chez les morts, s'appelle Éternité.
Au bas du cimetière en pente, vers l'aurore,
Vaguement entrevu le hameau dort encore.
Pas un feu, pas un bruit ; ni mouvements, ni voix,
Silence grandiose au milieu de ces croix.
Cependant l'horizon est tout blanc de lumière ;
Clocher, maisons, tombeaux, tout sort de l'ombre ; et fière,
La haute voix d'un coq, annonçant le soleil,
Sonne, joyeuse comme un clairon, le réveil.
Et comme autant d'échos, d'autres clairons répondent,
Et mille bruits, dans l'air, passent et se confondent.
Un volet, en s'ouvrant, grince et bat contre le mur ;
Un verrou crie et geint ; des pas sur le sol dur
Font claquer des sabots en alarmant une oie ;
Un moineau chante, un boeuf mugit, un dogue aboie ;
Au cadran du clocher quatre coups ont tinté,
Et soudain le hameau semble ressuscité.