La poupée de Suzanne
Suzanne a bien joué ; maintenant elle est lasse
Et dans le grand fauteuil s'enfonce et se prélasse.
Cependant elle garde encore son maintien :
C'est pour donner l'exemple à celle qu'elle tient
Doucement par la main "de peur que l'on ne tombe",
Car c'est à la maman que cette tâche incombe :
Suzanne le sait bien.
Dans ses grands yeux d'azur on lit toute son âme
Et l'on y voit briller cette céleste flamme
Qu'allume le bonheur d'avoir sur ses genoux
Un bébé que l'on choie et que l'on sait "à nous".
Bébé charmant ! Suzanne adore sa poupée
Et tout le long du jour elle en est occupée
Avec un soin jaloux.
Pensive et souriante, à quoi donc songe-t-elle ?
Serait-ce à ses chiffons de soie et de dentelle ?
A ce grand bal d'enfants où l'on doit l'inviter,
Où ses petits cousins vont la faire sauter ?
Suit-elle en son esprit sa naïve chimère ?
Oh ! non : Suzanne pense à sa petite mère
Et voudrait l'imiter.
"Poupée, écoute : on est pour moi plein de tendresses
Et ce n'est que bonbons, cadeaux, jouets, caresses,
A Pâques, à Noël, au premier de l'an.
Papa me donne alors chaque mois un sou blanc ;
Puis maman après lui me comble de dragées ;
Mes tantes leur tour en arrivent chargées ;
Tous me font leur présent.
"C'est que, comme maman, je tâche d'être bonne
Et que je n'ai jamais fait de mal à personne.
Je suis obéissante et je fais mon devoir ;
J'apprends bien ma leçon le matin et le soir ;
Personne ne me gronde ; et, quand je me repose,
Maman, dont le baiser sur mes lèvres se pose,
M'appelle son espoir.
"Sois mon espoir aussi, ma petite poupée.
A me faire plaisir sagement appliquée.
Garde-toi, mon amour, de tous mauvais penchants ;
Évite les regards et les gestes méchants ;
Et si tu sais rester bonne petite fille,
Nous irons au printemps, quand tu seras gentille,
Cueillir des fleurs aux champs."
Charles SIMOND