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Des poèmes et des chats
15 février 2008

SEULE

Voyez-la s'avancer sur le bord de la route,
Puis s'arrêter soudain, humble et le front baissé.
Peut-être dans son coeur la pauvre vieille écoute
Les échos affaiblis des voix de son passé.

Elle marche isolée, oublieuse des heures,
Partie au grand matin, surprise par le soir,
Elle n'approche pas des rustiques demeures
Où sur le banc de bois l'étranger peut s'asseoir.

Le crépuscule ami descend sur la feuillée ;
Dans le clocher s'émeut l'appel de l'angélus,
Mais vous ne verrez pas la vieille agenouillée...
L'âme ne peut prier quand l'oeil ne pleure plus.

Tout pour elle est aride et morne, soit la plaine,
Soit la grande forêt ou riant vallon ;
Pour elle le printemps a glacé son haleine ;
Pour elle le zéphyr mugit en aquilon.

Rien n'est changé pourtant ; mais quand la saison change,
Les rayons les plus vifs languissent assoupis ;Num_riser0030
Le soleil est voilé ; la moisson, la vendange
Semblent ne pas donner de grappes ni d'épis.

Jeanne date d'un temps - savez-vous, jeunes filles ? -
Où ces tilleuls avaient la taille d'un roseau,
Où vous auriez coupé, de tranchant des faucilles,
Ces saules chevelus qui se penchent sur l'eau.

Ne vous étonnez pas si Jeanne reste seule :
Entre elle et les vivants, l'abîme s'est creusé...
On ne la fête pas comme une sainte aïeule
Qui verrait tous les ans son champ fertilisé.

Jamais d'un petit-fils la caresse enfantine
N'effleure tendrement les rides de ses yeux ;
Jamais de passereaux une troupe mutine
Ne s'abat sur son toit triste et silencieux.

Jeanne ne se plaint pas sous le fardeau de l'âge,
Elle garde tout bas l'énigme des douleurs.
A qui se confier ? Les anciens du village
Sont partis un par un avec les jours meilleurs,

Et ils ont emporté son secret dans leurs tombes,
Et si l'herbe touffue abrite son amour,
Voudrait-elle assombrir votre joie, ô colombes,
En vous prophétisant que vous-mêmes, un jour

Vous conduirez en deuil vers la couche dernière
Vos amis les plus chers ravis à vos baisers.
Et que sourire, espoir, guirlande printanière,
Sous le tertre muet dormiront déposés ?

Courez donc l'assister quand sur la longue route
Elle va lentement, humble et le front baissé...
Mais ne lui parlez pas... La vieille Jeanne écoute
Les échos affaiblis des voix de son passé.

Alfred des ESSARTS

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