Le bonheur idéal
C'est un chat qui parle.
J'ai beaucoup pensé au bonheur idéal, et je pense avoir fait là-dessus des découvertes notables.
Évidemment il consiste, lorsqu'il fait chaud, à sommeiller près de la mare. Une odeur délicieuse sort du fumier qui fermente ; les brins de paille lustrés luisent au soleil. Les dindons tournent l'oeil amoureusement, et laissent tomber sur leur bec leur panache de chair rouge. Les poules creusent la paille et enfoncent leur large ventre pour aspirer la chaleur qui monte. La mare scintille, fourmillante d'insectes qui grouillent et font lever des bulles à sa surface. L'âpre blancheur des murs rend plus profonds les enfoncements bleuâtres où les moucherons bruissent. Les yeux demi-fermés, on rêve, et comme on ne pense plus guère, on ne souhaite plus rien.
L'hiver, la félicité est d'être assis au coin du feu à la cuisine. Les petites langues de la flamme lèchent la bûche et se dardent parmi les pétillements ; les sarments craquent et se tordent, et la fumée enroulée monte dans le conduit noir jusqu'au ciel. Cependant la broche tourne, d'un tic-tac harmonieux et caressant. La volaille embroché roussit, brunit, devient splendide ; la graisse qui l'humecte adoucit ses teintes ; une odeur réjouissante vient picoter l'odorat ; on passe involontairement sa langue sur ses lèvres ; on respire les divines émanations du lard ; les yeux au ciel, dans une grave extase, on attend que la cuisinière débroche la bête et vous en offre ce qui vous revient.
Celui qui mange est heureux ; celui qui digère est plus heureux ; celui qui sommeille en digérant est plus heureux encore ; tout le reste n'est que vanité et impatience d'esprit.